
« C’est probablement la plus vieille représentation cartographique d’un territoire reconnue en Europe à ce jour », explique Clément Nicolas, archéologue à l’université de Bournemouth. « La carte, qui représente la vallée de l’Odet et une partie des montagnes Noires est la première où les gravures, suffisamment précises, permettent d’identifier un tel territoire. Il s’agit donc d’un document important dans l’histoire de la cartographie », renchérit Yvan Pailler, chercheur à l’Inrap — l’Institut national de recherches archéologiques préventives.
Cette dalle gravée — un bloc de schiste de plus d’une tonne, long de 2,20 m, large de 1,53 m et épais de 16 cm — a été mise au jour en 1900 à Leuhan par le préhistorien breton Paul du Chatellier, en fouillant le caveau d’un tumulus datant du Bronze ancien à Saint-Bélec. « La dalle constituait l’un des côtés du coffre, surmontée de plusieurs niveaux de moellons. Un bloc mégalithique occupait l’autre côté. L’ensemble était recouvert d’une grosse dalle de couverture, détaille Yvan Pailler. On suppose que la dalle aurait été gravée à l’âge du bronze, avant d’être réemployée pour constituer la paroi de ce coffre. »
Un gardien met les archéologues sur la piste
Paul du Chatellier la déplace alors jusqu’à son château de Kernuz à Pont-L’Abbé. « En lisant ses lettres, on comprend qu’il avait bien conscience d’avoir trouvé une pièce extraordinaire. Mais, à cette époque, il ne savait pas encore comment l’interpréter », indique Clément Nicolas.
Tombée dans l’oubli durant un siècle, cette dalle ornée a été redécouverte en 2014 dans les caves du musée d’Archéologie nationale à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines). Entreposée dans une des caves du château, c’est un gardien qui a mis les archéologues sur la piste… alors que cette dalle n’avait pas été initialement inventoriée.
Des gravures réalisées par piquetage et incision
« Des motifs qui se répètent, reliés entre eux par des lignes pour former un réseau, dans un ensemble cohérent… Nous avons estimé rapidement qu’il s’agissait d’une carte préhistorique, car tous ces éléments étaient réunis », explique Clément Nicolas. Le piquetage et l’incision étaient les deux méthodes utilisées pour réaliser ces gravures. Des gravures et des motifs qui ont fait l’objet de nombreuses études depuis 2014.
Décrypter tous les symboles fut un travail de longue haleine. L’étude de la dalle a été menée au moyen d’observations à l’œil nu, de photographies générales et détaillées avec éclairage rasant, et plusieurs méthodes de relevés 3D. Des documents graphiques qui se sont révélés essentiels pour analyser l’état des surfaces ou les détails des gravures. Ainsi, les grandes lignes du relief et le réseau hydrographique de cette partie du Finistère coïncident avec le réseau complexe représenté sur cette dalle : « Nous arrivons à des degrés de similarité compris entre 70 % et 80 %. C’est équivalent aux résultats obtenus pour des cartes mentales recueillies par les ethnologues auprès de peuples comme les Papous ou les Touaregs », précise Clément Nicolas.